Rapport d’étape de l’Assemblée Nationale publié en 2013.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Nazis procèdent à un pillage systématique des oeuvres d’art provenant essentiellement de collections privées. Ce pillage, fondé sur l’idéologie, est mis en oeuvre par l’ERR ou Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg für die besetzten Gebiete (l’état-major d’intervention du commandant du Reich Rosenberg pour les territoires occupés).
En outre, le pillage des biens mobiliers est organisé par la Möbel Aktion : selon les archives de l’époque, 69.619 logements de Juifs sont vidés dont 38.000 à Paris seulement. Ce pillage inclut de nombreuses oeuvres d’art.
Le Jeu de Paume devient une « gare de triage » des trésors culturels qui vont être envoyés en Allemagne de février 1941 à août 1944. Rose Valland, attachée de conservation, y joue alors un rôle clé; ses notes personnelles aideront à identifier des oeuvres spoliées. Au total, pour la France, 96.812 réclamations sont recensées et 61.233 oeuvres retrouvées.
L’ordonnance du 12 novembre 1943, publiée par le Comité National Français (La France libre) prévoit la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle. « Elle s’applique à toutes les espèces de spoliation, depuis la saisie brutale et sans compensation de biens, droits et intérêts de toute nature jusqu’aux transactions en apparence volontaires, auxquelles ne manque aucune des formes légales ».
Le texte est complété par l’ordonnance du 21 avril 1945 qui édicte la restitution de leurs biens aux victimes de ces actes accomplis « soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État français, soit par l’ennemi sur son ordre ou sous son inspiration ».
La question des restitutions fait d’abord l’objet d’une politique d’État à État, de 1945 à 1955. La France met en place un service public dédié. En 1944, est créée la Commission de Récupération Artistique- CRA, dont la mission est de récupérer, aux fins de restitution, les oeuvres d’art.
On réactive par ailleurs l’Office des biens et intérêts privés - OBIP - pour recenser et restituer l’ensemble des biens spoliés en France et transportés à l’étranger. Ce travail débouche sur le Répertoire des Biens Spoliés (RBS), publié de 1947 à 1949. Il regroupe 85.000 fiches d’identification classées par technique artistique (peintures, dessins, tapisseries, céramiques, etc.).
En 1949, à la dissolution de la CRA, 45.441 oeuvres ou objets culturels ont été restitués, soit 74 % des œuvres récupérées. 15.792 n’ont donc pas retrouvé de propriétaires.
La création de « Commissions de Choix » permet de sélectionner un peu plus de 2.000 oeuvres (soit 15 % des œuvres restantes) qui sont exposées au musée de Compiègne de 1950 à 1954 avant d’être placées sous la garde des musées : ce sont les Musées Nationaux Récupération (MNR).
Le reste des oeuvres sans propriétaires, au nombre de 13.463, doit être vendu par le service des Domaines.
Il est décidé de la création d’un statut original : les MNR.
Définition : il s’agit de 2.143 oeuvres (au 1er mars 2000) qui bénéficient d’un statut hors norme : elles sont conservées par 57 musées, mais ne font pas partie des collections publiques. L’État n’est que le détenteur provisoire et non le propriétaire, selon le décret 30 septembre 1949. Parmi les MNR, on dénombre 980 tableaux.
Elles doivent :
Les autorités de tutelle ont en outre affirmé qu’elles devaient rester à l’intérieur du territoire et donc ne pas être prêtées à l’étranger. Le statut ne se limite pas au cas des oeuvres spoliées.
Trois catégories ont été identifiées ultérieurement:
Certaines oeuvres peuvent encore avoir un « passé flou » :
Le rapport Mattéoli indique qu’ « aucune archive n’a été trouvée qui permettrait de comprendre comment ces listes ont été établies. La Commission de choix semble avoir travaillé avec une extrême légèreté ».
Le caractère lacunaire des archives des Domaines constitue une difficulté en soi. Les ventes font en principe l’objet d’un procès-verbal, comprenant l’inventaire détaillé des biens et l’indication de leur valeur. Or, malgré des recherches approfondies, les fonds contenant ces procès-verbaux n’ont pas été retrouvés.
Dans ce contexte, 135.000 lots auraient été vendus à l’amiable, contre 3.190 par adjudication. Le manque de rigueur des Domaines, à rattacher au contexte de la Libération, met en évidence la probabilité que des oeuvres appartenant aux collections publiques puissent avoir un « passé flou ».
L’affaire dite « des Domaines » constitue une autre source d’incertitudes pouvant expliquer l’existence d’oeuvres au « passé flou ». Il s’agit d’une escroquerie impliquant, au tout début des années 50, un vacataire de la CRA et un haut fonctionnaire des Domaines. Cinq condamnations sont prononcées pour ce que la presse qualifie d’entreprise de « coulage » de biens culturels, dont les propriétaires ont finalement été « spoliés deux fois ».
Les archives de Rose Valland montrent que les listings ont été modifiés au gré des négociations internationales, sans compter les écarts chiffrés liés à des techniques de décompte différentes.
L’information et la transparence n’ont pas accompagné toutes les démarches entreprises pour faciliter l’identification des propriétaires d’oeuvres spoliées. Ainsi l’exposition à Compiègne des MNR, de 1950 à 1954, n’a pas donné lieu à un catalogue, et les dossiers de réclamation alors recensés (entre 2.000 et 3.000) n’ont pas été suivis
Plusieurs phases suivent la première vague de restitutions de l’après-Guerre. La République Fédérale d’Allemagne prend ensuite le dossier en main et fait adopter la loi Brüg en 1957. La procédure de restitution laisse alors la place à la
procédure d’indemnisation, parfois complexe à mettre en oeuvre. Une version de cette loi, adoptée en 1964, permet une indemnisation plus large du mobilier, des bijoux, des métaux précieux et des marchandises commises en exécution des mesures de la Möbel Aktion.
Le sujet passe ensuite relativement sous silence jusqu’à la chute du Mur de Berlin, en 1989: l’ouverture des archives allemandes et les archives américaines déclassifiées donnent lieu à une médiatisation de la question des oeuvres d’art spoliées, pillées ou vendues durant la Guerre, et à une nouvelle vague de demandes de restitution et d’indemnisation.
Après le discours du Président de la République, Jacques Chirac, le 16 juillet 1995 au Vélodrome d’Hiver, de nombreuses actions sont mises en oeuvre en France. Certaines concordent avec la reconnaissance des principes de Washington applicables aux oeuvres d’art spoliées par les nazis (1998).
Ces principes, non contraignants, ont été rappelés dans les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État dans un avis relatif à la responsabilité de l’État dans le préjudice subi par des victimes de l’Holocauste (février 2009)
On note ainsi :
Pourtant, l’accessibilité des archives est toujours limitée, ce qui est contraire au principe n° 2 de Washington. Non seulement certains accès sont limités ou inexistants (comme certaines archives du Louvre), mais parfois les conditions matérielles de stockage et d’indexation constituent un obstacle à la recherche de provenance. L’action entreprise par le Ministère des Affaires Etrangères - MAE - pour moderniser ses archives de la Courneuve met en évidence le retard de la France par rapport à d’autres pays.
La recherche systématique de provenance ne concerne que les acquisitions et pas les stocks des œuvres d’art des collections publiques. Pourtant, certaines de ces oeuvres peuvent avoir un « passé flou », qu’elles aient été acquises par les musées ou par des particuliers ayant fait des dons. Selon un conservateur, 2 ou 3 % des dons aux collections publiques pourraient soulever des interrogations.
L’absence de recherche active des propriétaires pour les 163 MNR spoliés avec certitude paraît incompréhensible et contraire aux principes de Washington.
Certains pays européens ont récemment affirmé leur volonté de promouvoir des « musées propres ». Ce principe a été énoncé en novembre 2012 aux Pays- Bas, lors du symposium portant sur la spoliation des oeuvres d’art en Europe durant la Seconde Guerre mondiale, réunissant notamment l’Allemagne, l’Autriche, le Royaume-Uni, et la France.
De nombreux acteurs effectuent des recherches systématiques de provenance des oeuvres d’art. À titre d’exemple on peut citer :
Des demandes régulières provenant d’autres pays, notamment de musées américains, sont adressées aux musées français. Elles peuvent s’appuyer sur les 11 principes de la Conférence de Washington.
Des avocats spécialisés dans le domaine de la restitution d’oeuvres spoliées n’hésitent pas à recourir aux législations telles que Alien Tort Claims Act (ATCA). Cette loi américaine autorise les victimes de graves violations de droits humains quels que soient leur nationalité et le lieu où ces crimes ont été commis – à demander des réparations devant les tribunaux américains. Il suffit que les individus soient de passage sur le sol américain au moment où la plainte est déposée.
La révolution d’Internet renforce nécessairement l’effet de ces différents éléments de contexte. Le réseau permet d’avoir accès aux archives, notamment celles des États-Unis. En outre, il offre un accès à toutes les collections muséales du monde, facilitant ainsi la reconnaissance des tableaux.
En 2012, 13 restitutions ont été décidées (6 d’entre elles ont déjà été effectuées, 7 sont sur le point de l’être).
En 2013, une dizaine de demandes de restitution sont en cours, dont certaines sont instruites par la Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliations (CIVS).
En 2014, quelques tableaux ont été rendus, solennellement, par la ministre de la Culture de l’époque, Aurélie Filippetti, peu après la sortie du film « Monuments Men ».
Au total, depuis 1951, le ministère de la culture dénombre 103 restitutions, qui ne prennent pas en compte les demandes concernant des oeuvres des collections publiques, entrées de façon régulière et transparente dans les collections (comme « L’homme à la guitare » de Georges Braque, ayant donné lieu à une indemnisation). En ce qui concerne le seul cas des MNR ou musées nationaux récupération, seules 79 oeuvres ont été restituées (3 % environ).
La localisation de 40.000 oeuvres et objets pillés reste inconnue à ce jour (elles ont pu être détruites, perdues, intégrées dans des collections publiques ou privées).
Le rapport de la Mission Mattéoli de 2000 indique que « des oeuvres peuvent réapparaître à n’importe quel moment sur le marché ou dans les musées. La focalisation, pleinement justifiée, du travail de la Mission sur le cas des MNR ne doit pas masquer l’importance des oeuvres non retrouvées et l’état de veille et de vigilance permanent qui doit être maintenu ou institué dans ce domaine ».
Corinne Bouchoux, sénatrice du Maine et Loire
L’acquisition controversée par le Musée d’Orsay, en novembre 2013, d’un tableau de Hans Thoma, Hercule délivrant Hésione, dont l’origine pouvait apparaître douteuse. Alors que la direction des Musées de France préconisait de surseoir à la décision afin qu’une enquête approfondie soit menée sur la provenance de cette oeuvre, le musée a finalement décidé de l’acquérir, faisant primer l’intérêt artistique de l’oeuvre sur le risque potentiel de faire entrer une oeuvre au passé flou dans les collections publiques.
Le Président du Musée, Guy Cogeval, a fait valoir que cette oeuvre avait certes été acquise à une galerie en 1938 par les proches de Hitler afin de figurer au futur musée de Linz mais que cela n’en faisait pas pour autant une oeuvre spoliée, qu’il avait, avant de prendre sa décision, interrogé un historien américain spécialisé dans les questions de spoliation qui avait estimé que rien ne s’opposait à cette acquisition et que c’est donc en connaissance de cause qu’il a pris la décision d’acquérir le tableau.